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L'article ci-dessous, qui a été publié en 1945, parle bas de soie. À la fin de la guerre, les Alliés arriveront en France avec, dans le paquetage des G.I., les chewing-gums, les cigarettes américaines, le jazz, les barres de chocolat, les pin-up… et les fameux bas en nylon !
Le joli bas fait la belle jambe, mais attention à l'accroc !
Le métier d'hôtelier n'a pas à craindre de crises à Ganges l’Attirante. Avant la guerre, les estivants des congés payés, les visiteurs de la Grotte des Demoiselles et les skieurs de l’Aigoual se relayaient pour lui assurer une activité lucrative. Depuis es années de pénitence, les chasseurs de bas de soie leur ont succédé avantageusement dans cette haute région des revenues.
La chasse aux bas est très curieuse. On ne la trouve décrite dans aucun manuel cynégétique. C’est une lacune car elle a sa place. Elle exige les premières qualités des chasseurs : du flair et de la patience. Elle est ouverte toute l’année et même lorsqu'elle est interdite. elle se pratique de jour et de nuit. Le jour, les chasseurs se présentent sous l’aspect d’oisifs désinvoltes, consacrant leur temps à des promenades banales ou se prélassant au Café Riche et au Bar du Commerce. Ils partent les mains vides et reviennent avec des paquets plein les poches. Des paquets de bas de soie, bien entendu. Tout en sirotant leur pastis, ils ont chassé... Il parait que le gibier-bas de soie hante aussi les dessous de carafes !
Les machines anciennes faisaient des bas bien soyeux - Les machines modernes vont plus vite
CHASSE DE NUIT
Les chasseurs de nuit, eux, s’entourent davantage de mystère. Ils se soucient peu de visiter la ville ou de fréquenter ses cafés. Ils arrivent par le train de 22 heures et, lorsque les hôtels sont pleins, ils passent la nuit dans la salle d’attente de la gare. Ils repartent avant que le soleil se lève par le train de 6 heures ou par le car de 7 heures. Et avec autant de discrétion ils s’en vont leurs valises copieusement garnies de ces bas de soie qui font l'objet de tant de désirs féminins. Il est à remarquer que ces chasseurs sont dépourvus d’armes à feu, ce qui n’empêche pas de donner des coups de fusil plus tard, lorsqu’ils revendent leur gibier.
Mais comment font-ils pour le débusquer ? Cela c’est bien leur secret. Car. n’est-ce pas, on sait bien que les fabriques sont soumises à un contrôle très strict. On sait que toute vente au détail est interdite et que les magasins gangeois ne possèdent que des articles d’exposition. On sait... mais que ne sait-on pas lorsqu’on se réfère seulement aux organismes officiels. Aussi ce n’est pas encore ici que vous trouverez le moyen de vous procurer à Ganges des bas de Ganges.
Si jadis les élégantes aimaient les bas à fioritures, elles préfèrent maintenant le 44 fin.
LA NAISSANCE DU BAS
Et bien voilà : on prend des "cônes". Moi j’appelle ça des bobines de soie, mais il paraît que ce sont des "cônes". On les place au sommet de machines mystérieuses comprenant des milliers de petites pièces fragiles et des manettes à ne savoir qu’en faire. Cela tient de la rotative d'imprimerie, du tour à décolleter, ou de la machine à écrire géante.
On met en marche et on regarde le tout. Au bout d’un quart d'heure, on voit se former une bande ayant la forme d’un bas ouvert en deux et, après une dizaine de minutes, il n’y a qu’à tendre la main pour recevoir un bas. Ce n’est pas plus difficile que cela. Je n’ai pas cherché à comprendre davantage parce que mon cicérone m’a assuré que sept années étaient indispensables pour faire un ouvrier bonnetier !
Si l’on est chez un artisan, tel M. Barral, la machine n’est que d’ "une tète" et ne fait qu’un bas à la fois. Si l’on visite une grande usine comme celle de MM. Lauret (où l’on est bonnetier de père en fils depuis trois siècles), on peut voir des monstres qui vous digèrent des centaines de cônes et vous débitent vingt bas à la fois. Or, il y a à Ganges 37 fabriques totalisant 5.000 "têtes". Le reste de la fabrication concerne la finition du bas : teinture, couture, appairage, etc... Cela exige un personnel spécialisé autant que varié.
Et voici de quoi combler les vœux de 300 femmes - 100 bas dans les mains et travailler les ïambes nues ! - La faiseuse de ventre fait les mollets bien galbés
RACCONTREUSES ET GONFLEUSES
Pour le profane, les opérations les plus étranges sont celles réalisées par les ouvrières "raccontreuses" (qui moulent le bas), les "faiseuses de ventre" qui donnent le galbe, les "gonfleuses" qui recherchent les défauts, etc.
Avant la guerre, la production gangeoise atteignait 500.000 douzaines de paires. Actuellement, elle ne parvient pas à la moitié. Elle produit aussi 12.000 douzaines de bas nylon si recherchés pour leur solidité mais qui, froids et "inertes", ne sont pas encore sur le point de détrôner le bas de soie, bas de qualité qui fait les belles jambes.
Et voilà décrites la chasse et la fabrication des bas de soie qui font la gloire de Ganges et de ses satellites cévenoles, Le Vigan. Arre, Saint-Hippolvte-du-Fort et autres lieux.
On voit dans les ateliers de curieux Freneh Cancan - Ce sont les formes qui seront mises au four... - Enfin les bas en sortiront pour l'appareillage
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Il y a 3.000 ans un empereur chinois amoureux, Fou Yi, fit construire pour sa belle une harpe éolienne en "bave de chenille". Ainsi fut "inventée" la soie légère, mate, chaude, infroissable, qui se lave et se repasse bien, se taohe peu et ne s’use guère.
La chimie moderne, en produisant des soies artificielles à peu près impossibles à distinguer de la vraie, a pratiquement condamné à mort le ver à soie. Le "nylon", puisqu’il faut l’appeler par son nom, n’existe pas dans la nature. Sauf à l’état d’atomes dans l’air, l’eau et le charbon. Et bientôt, grâce à lui, vos bas seront d’une arachnéenne transparence, moulés au galbe de votre jambe ; ne fileront plus parce qu’ils seront d’une seule pièce ; seront aussi faciles à laver qu’une botte en caoutchouc et aussi durables que le fer.
article publié en 1946
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en 1984 Julien Clerc chantait La Fille Aux Bas Nylon
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