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l’anneau de Nibelungen

 

 

 

L’HISTOIRE ET LA LEGENDE DE LA BAGUE

 

 

La bague tend aujourd’hui à n’être plus qu’un objet de parure, le plus répandu et le plus recherché de tous. Mais ce bijou précieux et charmant n’eut pas, à l’origine, ce caractère. Dans le portrait qu’il a fait de ce pape, Raphaël met une bague au doigt de Jules II; aujourd’hui encore, par tradition, le pape, les évêques portent un anneau. Naturellement, ce n’est pas à un usage de coquetterie qu’ils reslent ainsi fidèles! L’histoire et la légende s’accordent à donner à la bague une signification, une vertu particulières. Elles en font tantôt un signe d’identité, tantôt la marque de la puissance, tantôt un symbole d’union.

Quand Pharaon fait de Joseph son premier ministre, il lui remet un anneau d’or. Alexandre le Grand, au moment de mourir, donne son anneau à Perdiccas et le désigne ainsi comme son successeur. La légende antique raconte que Gygès, jeune berger de Lydie, possédait un anneau d’or magique au moyen duquel il pouvait devenir invisible. Il devint ministre, puis roi et fondateur de dynastie...

Les Anciens se défiaient de la Fortune, quand elle s’opiniâtrait à favoriser un homme, et justifiaient ce sentiment par l’histoire de Polycrate, tyran de Samos. Celui-ci, qui avait connu quarante ans d’une félicilé continue, s’inquiéta enfin d’un bonheur si constant et, croyant conjurer les coups de l'adversité en sacrifiant son trésor le plus cher, il lança dans la mer une bague ornée d’une émeraude admirable, gravée par Théodore de Samos. Mais la Fortune n’accepta pas ce marché : l’anneau, retrouvé dans le corps d’un poisson, fut rapporté à Polycrate. Peu après, la guerre éclata; les Perses s’emparèrent de Samos et mirent en croix le tyran.

 

Venons à nos légendes. Elles nous parlent de l’anneau de Nibelungen. Et que laisse tomber Peau-d’Ane dans la pâte du gâteau que mangera le fils du roi? Un anneau.

Par là, nous touchons à un autre caractère de la bague : la bague, signe d’alliance, gage d’amour. Il date de l’aurore chrétienne. Un anneau plat, débordé par une rosace ou une étoile, portant en grec la devise union, faisait reconnaître entre eux les chrétiens de Byzance et symbolisait leur union avec l’Eglise. Avec le temps, cette signification se perdit, devint plus profane, — et ce furent les bagues de fiançailles, l’alliance des époux. Ces bijoux se firent de plus en plus ornés, on y ajouta des inscriptions sentimentales, délicates. As true to thee as death to me (je te serai aussi fidèle que la mort me sera fidèle), dit une bague anglaise du moyen âge. Et, sur beaucoup d’autres anneaux de la même époque, on lit ces deux mots, dont le sens est demeuré mystérieux : Sans départir...

 

Le cher anneau d’argent que vous m’avez donné

Garde en son cercle étroit nos promesses encloses... 

murmure Roseinonde Gérard dans une charmante poésie.

Mais, entre toutes les scènes de l’histoire où la bague joua un rôle, la plus fameuse, la plus singulière et la plus grandiose eut pour théâtre Venise. La perle de l’Adriatique, au temps des doges, dominait sur toute la Méditerranée et, chaque année, l’alliance de la Ville et de la Mer était célébrée solennellement. Le jour do l’Ascension, le doge, accompagné de tout le Sénat, montait à bord du Bucentaure. Le peuple se pressait le long des canaux. Alors, salué par les acclamations, au grondement joyeux de l’artillerie, le premier magistrat de Venise jetait un anneau d’or dans l’eau profonde.

Les bagues à cachet servent aussi à sceller les conventions et les traités de paix. Et cet usage nous rappelle une page d’histoire, étrange et douloureuse :

C’était en 1871. Paris, assiégé, impuissant à continuer la lutte, avait décidé de souscrire aux stipulations d’un armistice, — premier acte de la tragédie qui devait se dénouer à Francfort. Jules Favre, muni de pleins pouvoirs, s’était rendu à Versailles pour la signature officielle de la trêve. Les débats étaient clos. Bismarck et Favre, s’étant relu le traité, y ajoutèrent, pour conclure, un dernier article :

"Art. 15. En foi de quoi les soussignés ont revêtu de leurs signatures et scellé de leurs sceaux les présentes conventions.

"Fait à Versailles, le 28 janvier 1871.

"Signé : Jules Favre. — Bismarck."

Le chancelier de fer, ayant apposé son cachet, pria Jules Favre d’accomplir la même formalité. Mais notre plénipotentiaire, au milieu des soucis de la journée, avait oublié de se munir du sceau de la République française. Il voulut l’envoyer prendre à Paris.

— Ce serait un retard inutile, répondit Bismarck. Votre cachet suffira, ajouta-t-il, en indiquant l’anneau que Jules Favre portait au doigt.

C’était une chevalière d’or, gemmée d’une large opale où Ton avait gravé l’image d’une Bellone tendant son arc. Et de qui Jules Favre tenait-il ce bijou? De Naundorff, de ce personnage mystérieux, pour et contre lequel on a tant écrit, qui affirma toute sa vie être Louis XVII évadé du Temple... L’avocat Jules Favre avait pris à cœur sa cause, l’avait défendue avec énergie, et Naundorff, sa sentant près de la mort, lui avait fait présent du vieil anneau en témoignage de reconnaissance...

Cette histoire d’une bague de l'autre guerre nous ramène à la pensée de la guerre actuelle. La "bague des tranchées" est, pour beaucoup, davantage qu’un précieux bijou : un cher souvenir, et souvent un dernier souvenir. Pour ceux- là, pour celles-là, perles, diamants, rubis, émeraudes valent moins que le fruste anneau d’aluminium, de cuivre ou de fer dont s’ennoblissent leurs mains.

 

texte paru en 1917

 

 

En présence de Bismarck, le traité de Francfort est scellé par Jules Favre, ministre des Affaires étrangères de la Troisième République

 

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