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On veut connaître le futur; on invente donc des stratagèmes, mais les procédés de divination en usage chez les peuples de l'Antiquité et les méthodes "scientifiques" des futurologues de la fin du XXe siècle ne se ressemblent guère. Les hommes éprouvent toujours le même besoin, pour le meilleur et pour le pire: les prophètes du Moyen Age, les astrologues de cour à la Renaissance, les diseuses du siècle de Louis XIV, les philosophes rationalistes des Lumières tentent, à leur manière, de percer les grandes lignes d'un futur proche ou lointain.

Oracles, prophéties, prédictions, utopies ne se réalisent guère, apparaissant plutôt comme le reflet des espoirs et des craintes à différentes époques. En 1900, on se croyait à l'aube d'un siècle radieux, à la veille du XXIe siècle, on n'y croit plus guère. Si les futurologues ne prétendent plus faire "métier de prophètes", astrologues et voyants, qui jouent en fait le rôle de prêtres ou de psychologues, continuent à rassurer, à défaut de prédire l'avenir. Jamais, l'irrationnel ne disparaîtra. Le magnétisme, le somnambulisme et d'autres formes de spiritisme connaissent un succès croissant à l'époque du scientisme et du positivisme, tandis que de "nouveaux" prophètes annoncent un monde meilleur porté par des idéologies totalitaires à vocation universelle.

 

Moyen Age et prophéties apocalyptiques

Vers 400 a. C, l'élite des savants et des philosophes grecs, grâce aux mathématiques, fait de l'astrologie une véritable science, dont les bases viennent de Mésopotamie. Elle pose d'emblée un problème métaphysique. Si la vie humaine est déterminée par la mécanique céleste, le destin devient d'un déterminisme absolu; on peut, naturellement le prévoir. Cependant, à quoi sert-il d'annoncer l'inéluctable? Que devient la liberté de l'homme? La tragédie grecque montre des individus en train de se débattre vainement contre une fatalité impitoyable; les prédictions s'accomplissent, quelles que soient les ruses employées pour déjouer le destin. Chez Sophocle et Eschyle, les oracles infaillibles semblent même causer les événements. En revanche, chez Euripide, ils se trompent.

Les oracles, les sibylles, qui prédisent souvent en état de transe,, travaillent en parallèle avec les astrologues, formulant leurs annonces d'une manière hermétique, qui n'a rien à envier aux "Centuries" de Nostradamus. Avec le christianisme, astrologues et oracles ne disparaissent pas, d'autant moins que des livres sacrés comme l' "Apocalypse" favorisent les visions illuminées et prophétiques. La hiérarchie de l'Eglise prend conscience des dangers qu'elles représentent, non seulement pour la foi, mais aussi pour la tranquillité publique. Si la fin du monde est pour demain ou le retour du Christ, qui vient punir les puissants et les clercs, vaut-il la peine de travailler? Ne faut-il pas créer les conditions de l' "Evénement" en se soulevant? D'où la tendance à réserver prophéties et annonces astrologiques concernant la politique aux dirigeants civils et ecclésiastiques...

La prophétie religieuse, dès lors, devrait se limiter à l'histoire du salut avec une fin du monde dont on se hasarde de moins en moins à fixer la date. Il existe un vide prévisionnel: face aux incertitudes de la vie quotidienne, dela religion et de la politique, ilfaut un minimum de repèresdans l'avenir, surtout qu'iln'existe aucun système d'assu-rance, aucune échéance politiquefixe comme des élections, que les traités s'appliquent "à perpétuité", c'est-à-dire jusqu'au moment ù l'arbitraire des grands jugera bon de les révoquer. L'avenir apparaît donc comme un trou noir, plein de guerres, de disettes, de famines, d'épidémies.

L'astrologie, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance, fournit quelque sécurité, comme les autres méthodes de prédiction. La césure, désormais, apparaît nette: aux élites, l'étude savante des étoiles, source d'explication des comportements humains et, dans des limites encore discutées, de prévision; au peuple, les prophéties, merlinesques ou sibyllines, les oracles de clercs ou de laïcs, plus ou moins déformés par la transmission orale et objets de la méfiance des Eglises catholiques et protestantes, la divination, la chiromancie, l'interprétation des songes, etc.

 

Baroque et astrologie

Au début du XVIIe siècle, les Bretons des campagnes rendent encore un culte à la lune et aux fontaines et en tirent des présages; le clergé local, à peine plus instruit, se fait l'écho de multiples et mystérieuses prophéties. L'astrologie savante affronte, quant à elle, les critiques initiées par la révolution de Galilée: les mathématiques permettent de décrypter l'univers, les chiffres l'emportent sur l'occulte. L'astrologie s'en tire pourtant bien, puisque Galiliée, lui-même, tire des horoscopes, comme son admirateur Tommasso Campanella et Johannes Kepler, ce dernier parlant même de l'astrologie comme de la "fille stupide qui grâce à ses incantations entretient et nourrit une mère (l'astronomie) aussi savante que pauvre". Isaac Newton flirte longtemps avec l'astrologie. Déroutant personnage, à la fois savant moderne dans sa rigueur mathématique et théologien spiritualiste! L'idée de gravitation universelle semble s'accorder avec les présupposés de l'astrologie. Son ami, William Whiston, utilise la gravitation et les idées de Halley sur les planètes, pour prédire la fin dumonde pour le 13 octobre 1736.

Même ambiguïté dans les milieux scientifiques français de la première moitié du siècle, avec le père Mersenne qui, en 1623, inclut l'astrologie dans son tableau des sciences. Descartes -crainte ou mépris? - reste dans ce domaine d'une prudence extrême. En 1631, le pape Urbain VIII publie une bulle interdisant les horoscopes concernant les dirigeants politiques et religieux. Un médecin de Louis XIII vient d'être condamné à la prison à vie pour avoir prédit la mort du roi pour l'automne 1631. Pierre Gassendi se pose en adversaire de l'astrologie; pas étonnant que le vicaire général du grand aumônier de France, Claude Auvry, lui commande un ouvrage pour rassurer le public, angoissé par les prédictions apocalyptiques qui ont suivi la grande éclipse solaire du 12 août 1654.

Pour le cardinal de Richelieu, les astrologues sont, avec les espions, la "Gazette" et les pamphlétaires à gages, des armes gouvernementales. Cependant, il fait tirer son horoscope et, à la naissance du dauphin, il commande, selon la tradition, celui du futur Louis XTV, bien que cela soit interdit par l'Eglise et le pouvoir politique. Quel astrologue commandité se hasarderait d'ailleurs à prédire la mort prochaine du nouveau-né ou un règne catastrophique?

L'époque baroque, en France, se caractérise par un goût de la noblesse pour l'irrationnel, le fantastique, le mystère. Vers 1660, Paris compte quatre cents officines d'astrologues, soit une pour mille habitants. L'affaire des Poisons, découverte en 1679-1680, révèle le rôle des devineresses et astrologues, surtout auprès des femmes de la cour.

A la fin des guerres civiles en Grande-Bretagne vers 1660,l'astrologie perd de son audience auprès des élites. Les mages s etrompent, ils ne prévoient même pas les malheurs qui les touchent; à cela s'ajoute les progrès de la conscience historique et des sciences qui recourent peu à peu à des méthodes modernes. Les prophéties apocalyptiques et catastrophistes ne sont plus crédibles. Souvent justes parce qu'antidatées et faites après les événements, elles sont le fait de prêtres, d'hystériques, d'illuminés ou d'imposteurs venus des couches populaires; il y a beaucoup de femmes dans cette corporation. Ces prophéties sont systématiquement utilisées à des fins de propagande politique.

 

 

 

Nostradamus

 

 

Conséquence des progrès scientifiques et techniques aux XIXe et XXe siècles, "prophétie inspirée et extatique, astrologie, cartomancie, chiromancie, somnambulisme, magnétisme sont tombés dans le domaine de la prédiction populaire (...) Echouées dans la fosse commune des superstitions ou reléguées au rang des fausses sciences, ces méthodes, qui pourtant séduisent encore les foules et font prospérer bien des praticiens, entrent dans le domaine de l'imaginaire collectif des sociétés contemporaines. Cultivées par les médias de masse, elles s'inscrivent dans cette indispensable part d'irrationnelet de rêves qui meuble l'esprit collectif des foules urbanisées, avec les loteries, les jeux, la publicité, le sport-spectacle et les extra-terrestres. (...) Les praticiens de la prédiction populaire deviennent des psychologues et prennent le relais des prêtres dans les débats entre l'individu et sa conscience. Au niveau collectif, la prédiction rassure en montrant que chacun participe au destin du groupe (...); elle entretient un néo-fatalisme apte à consoler des échecs de la vie."

L'existence, dans la région parisienne, d'un astrologue pour quatre cents habitants donne une idée de l'inquiétude et du besoin de réconfort de nos contemporains. Si, en ville, on va consulter voyants et astrologues, dans les campagnes, on lit l'almanach et on vibre aux prophéties communiquées à des êtres simples lors d'apparitions, surtout de la vierge Marie.

Les grands de ce monde ne se vantent pas de leurs fréquentations astrologiques et extralucides. Il s'avère donc difficile de mesurer le rôle des prédictions sur les décisions politiques, le secret suscitant rumeurs, on-dit et ragots de toutes sortes colportés par les journaux populaire set les ouvrages à sensation. Quelle a été l'influence de Madame Faya sur Jean Jaurès, Aristide Briand, Albert Sarrau et Georges Clemenceau et la réalité de ses prédictions? Hitler, de Gaulle lui-même, à Londres, consultent... Pour les politiciens du XXe siècle, c'est moins la connaissance du futur qui importe chez l'astrologue que l'assurance qu'il donne pour le présent. L'image de l'avenir, c'est à la prospective qu'ils la demandent. Pendant les deux guerres mondiales, les propagandes des belligérants utilisent largement les prédictions astrologiques comme arme psychologique, ce qui révèle une étonnante stabilité des moyens utilisés et de la crédulité des masses depuis l'époque baroque.

"En tout état de cause, en supposant même l 'exactitude de ces faits, se pose toujours la question de l'utilité de ces prédictions: à quoi peut servir de prédire ce qui doit inéluctablement arriver? La seule prédiction utile est la prédiction fausse, c'est-à-dire celle qui motive des décisions qui en évitent la réalisation. Prédire la guerre n'est utile que si cela sert à éviter la guerre; prédire la défaite n'a d'intérêt que si cela permet d'obtenir la victoire. (...)."

 

Utopies et contre-utopies

Si, jusqu'à la Première Guerre mondiale, les utopies socialistes annoncent un avenir radieux pour les pauvres et les prolétaires, philosophes, historiens et auteurs d'oeuvres de science-fiction, à l'image des prophètes inspirés du Moyen Age, voient dès lors l'avenir de l'humanité comme essentiellement sombre: ce n'est pas tellement le présent qui est mauvais, mais le futur. Seule la science-fiction soviétique reste optimiste, idéologie (Marx et Lénine ne sauraient s'être trompés); en URSS, de toute façon, peut-on imaginer pire que le présent? Il existe de curieuses relations entre utopie et contre-utopie. La première prédit un paradis, que certains tentent de réaliser; en s'incarnant, le rêve prend des allures d'enfer, ce qui suscite de nouveaux prophètes qui, dans une contre-utopie, annoncent et mettent en garde contre le premier projet, rêve devenu cauchemar. A la fin du XVIIIe siècle, Mercier conçoit dans "L'an2440" une société utopique parfaite, que Staline n'est pas loin de réaliser, fournissant à George Orwell les traits essentiels de son enfer contre-utopique de "1984".

 

Réactions inattendues de gens "repus"

En mai 1968, les étudiants, qui prennent temporairement le contrôle de Paris et vont forcer le général de Gaulle à se retirer, n'ont aucune raison rationnelle de se révolter. Pour la plupart, ils sont les enfants gâtés d'une des sociétés les plus libres et les plus prospères de la planète. Justement, c'est cette absence de lutte et de sacrifices dans leur vie de petits bourgeois qui les fait descendre dans la rue, au nom d'idées complètement inapplicables, comme le maoïsme. Ils n'ont vraiment aucune vision vraiment cohérente d'une société meilleure. Si, dans le futur, les hommes se lassaient de la paix et de la prospérité et cherchaient, comme en 1968, de nouveau défis et affrontements, les conséquences pourraient en être épouvantables, vu l'existence d'armes nucléaires et de destruction massive. Les prophètes d'apocalypse ont encore de beaux jours devant eux!

 

publié en 1997

 

 

 

 

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