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Quand on s’absinthait sans rime ni raison


Au début de ce siècle*, les méfaits de l'absinthisme étaient indéniables. Genève et Vaud détenaient d'assez éloquents records : 500.000 litres par an dans le premier canton et 260.000 litres dans le second. L'horrible crime, perpétré à Commugny, petite commune au-dessus de Nyon, par le Français Lafrey, fit déborder les bonbonnes.

 

Les ennemis de l'absinthe prirent ce prétexte pour vouer aux gémonies la troublante liqueur. Avec des médecins et des chimistes dans leurs rangs - car le public considère comme parole d'évangile tout exposé scientifique - la bataille de l'absinthe fut perdue, malgré le Conseil fédéral dont on eût mieux fait sans doute, d'écouter la sagesse. M. Henri Martin, conseiller national à l'époque et domicilié aux Verrières, intervint à plusieurs reprises dans les délibérations de la Chambre basse pour plaider en faveur de l'absinthe. Dès ce moment, il s'est trouvé des esprits clairvoyants pour imaginer les conséquences de la prohibition : distillation et vente clandestines, mise sur le marché de produits inférieurs, par la qualité, à ceux des distillateurs professionnels. On le pensait jadis et on le soutient encore : il eût mieux valu ne pas interdire la fabrication de la "fée verte" mais vendre celle-ci à un prix élevé, de façon à en freiner la consommation. La voix du peuple ne l'a pas voulu. Cela ne prouve pas, au contraire, qu'elle ait été la voix de la raison.

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absinthe

En cette époque où on pourchasse les distillateurs d’absinthe, il faut parfois user de ruses de Sioux pour distiller une bonne absinthe !

 

 

L'amie des poètes
Les femmes légères et leurs amis les banquiers et les demi-mondaines, les prolétaires et les rapins, les carabins et les poètes, tous étaient amis de l'absinthe. La "Fée verte", dit le peintre Fernier, est la sœur de toutes les fées qui enchantent les rêveries des enfants et des hommes. Innombrables ont été les artistes qui, pour quelques sous, lui demandèrent inspiration et euphorie : Musset le sombre voluptueux, le tragique Baudelaire, le sombre Liliam des "poèmes saturniens". Et Raoul Ponchon lui fit tout bas cette confidence :
Ton frais parfum me déconcerte
Et dans ton opale je vois
Des cieux habités autrefois
Comme par une porte ouverte...


Comment imaginer hors de son miroitement au vert-de-gris, les personnages inquiétants de Francis Carco : belles de nuit "sous un morne soir de pluie et de neige fondue», Jeanne et Pierre, les romantiques ardents du vieux caboulot, et tout ce monde fantomatique qui,
A la ronde des ombres et des feux des maisons
Tournait infatigablement
Avec ses voyous et ses filles
Ses bars où les phonos grinçaient
En nous jetant quelquefois par la porte
Comme l'appel dans une voix morte ?...

 

Fanatique de la pureté en eau trouble, Zola doit ses meilleures pages à l'Assommoir : absinthe et autres alcools préférés d’un Coupeau sans frein ni mesure et d’une Gervaise désespérée et folle. Chez les peintres, la "bleue" a eu beaucoup de succès ! Le sarcastique Daumier n'en faisait point fi, et Forain au crayon incisif, et le comte de Toulouse-Lautrec, recenseur, dans sa naine grandeur, des nuits parisiennes, et Raffaelli, et Picasso, et Manet...


D’ailleurs si l'absinthe n'avait donné naissance qu'à l'inoubliable chef-d’œuvre de Manet, pour lequel posèrent une actrice et un peintre, elle aurait droit à de larges circonstances atténuantes. Accordons – les - lui donc d'autant plus volontiers qu'on est en train de la pourchasser sans beaucoup de ménagements !

 

 

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* l'article extrait d'un quotidien suisse, datant de 1960, il s'agit donc du XX° siècle. La législation à propos de l'absinthe changeait encore...

 

 

 

 

absinthe

 

 

 

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LA VERTE Jugée par Séverine

 

Ah ! certes oui, on peut la taxer dur, l'absinthe, l'ignoble absinthe, tueuse d'intelligences, avorteuse de chefs-d'œuvre, corruptrice du pauvre monde, instigatrice des fainéantises et des crimes.

Jamais on ne sèmera assez d'obstacles sur le chemin qui mène à la source empoisonnée. Jamais on ne la fera payer assez cher à qui en fait usage... et les femmes illumineraient le jour où chaque goutte vaudrait son pesant d'or.

Car le terrible, c'est qu'elle accapare, happe comme la pieuvre, quiconque s'aventure à sa portée.

Celui qui, pour se rafraîchir, aux heures des canicules, opalise seulement l'eau glacée, augmentera insensiblement et chaque jour la dose jusqu'à la "purée". — Si même il s'en tient à l'ordinaire, l'intoxication, moins foudroyante, n'en sera pas moins réelle.

Ils sont comme cela par les rues, un tas de Mithridates qui gardent le jarrêt sûr, l'œil clair, le parler net, mais dont le cerveau est comme un palais dévasté, hanté seulement par les ombres funèbres des claires idées l'habitant jadis.

On nous objecte ceux qui créent, quoiqu'ils burent : Musset, Edgar Poë, toute la descendance de Noë, tout le Parnasse de l'alcool. Mais il est impossible à faire, le compte de ceux qui, doués, portant en soi l'inspiration, prêts à enfanter de grandes choses, échouèrent misérablement derrière une table d'estaminet.

Ratés dit-on dédaigneusement.

Non, "assassinés" par leur propre faiblesse, et plus encore par l'entraînement, la complicité inconsciente et atroce de l'entourage.

Il y a, devant eux, plus de soucoupes qu'il n'aurait fallu de pierres pour élever le monument à leur gloire, en perpétuant l'exemple et le souvenir dans la mémoire des hommes ! L'absinthe est, à l'Occident, ce que l'opium est à l'Orient, ce que "l'eau de feu" est aux Indiens, ce que l'alcool est aux nègres. C'est le facteur, non pas même de la décadence, mais de la dégénérescence; c'est le procédé dont s'assure la suprématie d'une race sur l'autre; c'est le poison qui, à travers le père, atteint l'innocent dans son berceau, le dote de toutes les misères ataviques.

Il fauche les idées en fleur, il tue les santés à peine écloses, il sème à travers le champ humain l'ivraie de la paresse, et toutes les vénéneuses pensées de la haine, de la folie, de la violence, du meurtre !

Rendez la Verte inaccessible, tout au moins aux humbles gens, ignorants de ses ravages. Les autres savent, tant pis pour eux !

 

Séverine - publié en 1904

 

 

la fée verte

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publié en 1997 :

 

Le soleil du mois d'août brûle la Provence et écrase le touriste. Pierre-André Delachaux arpente une foire à la brocante, à la recherche d'objets liés à la Fée verte. "Allez à Aiguèze, c'est là que l'absinthe a été inventée!"", lance un marchand. Sur la place de ce village ardéchois, apposée contre la façade d'une vieille maison, une plaque de marbre le fait tomber à la renverse. Elle proclame que l'inventeur de l'absinthe, plus connue de nos jours sous le nom de pastis (quelle hérésie!, ndlr)», est le sieur Honoré Agrefoul. Sacrilège. Ouf!, ce n'est qu'un canular, aussi gros que la sardine qui obstrua le port de Marseille... Mais qui est donc le géniteur de la Bleue? Cette glorieuse paternité a longtemps été attribuée à un certain Dr Ordinaire venu de France s'établir à Couvet (Suisse) en 1768, le berceau de la distillation de la rincette depuis 1797. Une ânerie de plus! En fait, bien que plusieurs recettes circulent à cette époque à Couvet, la "mère Henriod", dont on sait peu de choses, aurait été la première à produire le fameux "lait du Jura". Avant de vendre son secret aux Duval et aux Pernod.

 

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Moulin Rouge - Film de John Huston (1952)

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L’absinthe a un petit côté mystérieux, magique. Elle donne une sensation d’ivresse différente, légère, une espèce d’euphorie.

 

Symbole de la la Belle Epoque et de la "France canaille", cet alcool dont Emile Zola a décrit les ravages dans "L’Assommoir" avait été interdit en 1915, accusé de "rendre fou".

 

L’élégante fontaine utilisée pour verser, goutte à goutte, de l’eau glacée sur l’alcool à travers une cuillère ajourée contenant un sucre, contribue aussi au succès de ce breuvage souvent associé à des artistes tels que Baudelaire, Rimbaud, Verlaine ou Toulouse-Lautrec.

 

 

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