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Je tiens à remercier M. Henri Werbrouck (1924-2019), qui fut maire de Bachy de 1977 à 2003 et qui avait eu l'amabilité de me confier "ses souvenirs" et de m'en autoriser la publication afin que cette période de notre histoire reste dans nos mémoires et celles des générations à venir... Les présentes pages avaient été publiées fin aôut 2004 sur une ancienne version de ce site.

 

LA LIBERATION A BACHY - SEPTEMBRE 1944

 

Enfin, le jour tant attendu de la "libération" arrive... Nous apprenons dans la journée du samedi 2 septembre que des troupes alliées commencent à passer à Bercu. Pas de téléphone, mais le bouche-à-oreilles va vite... nous décidons avec mon camarade Gaston Darras d'aller aussitôt sur place, mon appareil photo en mains (et même avec la trousse de pansements et premiers secours que nous avions reçue de la Croix-Rouge dont nous avions suivi les cours de secourisme, et avec un beau brassard ! ... mais nous n'avons pas du tout eu à nous en servir, ni de nos connaissances, car l'ambiance était toute autre. Il n'y avait pas d'allemands en vue, et c'était la fête. Il y avait foule pour accueillir nos libérateurs dans la joie et l'enthousiasme.

Colonne ininterrompue de chars et véhicules, notamment jeeps et G.M.C. que nous découvrons en nature, venant d'Orchies. Un ou deux chars stationnent à Bercu près de la boucherie Bomart. Quelques véhicules militaires s'éparpillent aux alentours, notamment à l'angle de la rue Courouble et de la route nationale vers Bachy, où je vois un gradé mesurer au télémètre la distance jusqu'en haut de la côte de Bachy, marqué par un pignon bien visible.

Dans la soirée, des camions de ravitaillement viennent s'installer dans la plaine entre Bachy et Rumes, tandis que des chars sont stationnés à Sartaine près des maisons. Dimanche matin, des chars viennent prendre position à la sortie de Bachy vers Bourghelles et près des deux gros blockhaus, face au cimetière de Bachy et à la sortie de Bachy vers Wannehain.

 

A ce moment, des amis résistants viennent me demander d'aller signaler aux américains -j'étais sensé me débrouiller en anglais -la présence d'allemands dans le bois de Wannehain, ce que je vais expliquer à l'équipage du char stationné près de la route de Wannehain. Aussitôt, contact radio, survient un capitaine à bord d'une jeep, et un avion piper-cub* vient nous survoler, tandis que très rapidement, après quelques ordres du capitaine, huit ou dix chars venant de Sartaine, espacés chacun de 50 ou 100 mètres, s'ébranlent en direction du bois de Wannehain. Du blockhaus où j'étais, je voyais très bien la manœuvre, et je conserve encore une impression de force formidable à la vue de ces mastodontes avançant ensemble sur une même ligne de front. Le capitaine américain m'a fait monter dans sa jeep, et me mettant sa carabine dans les mains, m'a demandé de le guider, par la rue du Parc toute proche, vers Le fameux bois de Wannehain.

Ma mère, qui m'avait vu passer à bord de la jeep était affolée, et moi, je n'étais pas rassuré du tout. Je crois même que je tremblais de peur plus que des cahots de La route quand Le capitaine a foncé, à travers champ et à découvert, en direction du bois... et même le char le plus proche, tirant un ou deux coups de canon, ne m'a pas tranquillisé! J'ai appris là que pour traverser un champ de pommes de terre en jeep, il faut bien se cramponner ! On a su par la suite que les allemands avaient filé vers Esplechin depuis une heure ou deux. J'ai compris plus tard que le luxe de précautions et le déploiement de force des américains, aussi bien de Mouchin que de Bachy, visaient à les prémunir contre l'éventualité d'une attaque allemande, qui venant de l'ouest, aurait pu couper leur colonne principale fonçant à ce moment vers le cœur de la Belgique (leur avant-garde est arrivée aux portes de Bruxellles le soir même du 2 septembre).

Dans la soirée du samedi, nous étions sur le qui-vive, alertés par une série de détonations venant de la direction de Genech. Sortis dans notre jardin mon père et moi-même nous étions à quelques mètres de la rue quand nous avons vu dans la pénombre une file de soldats allemands marchant en silence sur l'herbe du bord de la route. Une sentinelle s'est postée sur notre perron nous tournant le dos, à huit ou dix mètres de nous qui restions évidemment immobiles un peu cachés par une tonnelle. Cette troupe, une centaine d'hommes, venait de quelque part entre Cobrieux et Bourghelles. Elle est passée devant chez nous et la ferme voisine qu'elle a contournée, évitant ainsi le centre du village, et se dirigeant droit vers le campement américain. Le lendemain, nous avons trouvé les clôtures de barbelés des prairies coupées sur leur itinéraire, et leur barda abandonné dans les champs. Il parait que, faits prisonniers, ils auraient été dirigés sur Orchies.

En me remémorant cet épisode, et ses détails, je suis persuadé que cette troupe devait être guidée, mais par qui ? pour une reddition volontaire ? Pour moi, le mystère reste entier. Le lundi 4 septembre, des troupes anglaises sont venues s'installer à la sortie de Bachy vers Bourghelles, où elles ont campé une ou deux nuits.Il parait que nous étions là à la limite des secteurs d'intervention entre américains et anglais, les premiers sur Mouchin-, les seconds sur Bachy-, mais que les anglais étant en retard, ce sont les américains qui ont pris position sur Bachy dès le 2 septembre, et ainsi assuré eux-mêmes la protection du flanc gauche de leurs colonnes.

 

La "libération" s'est donc passée sans heurts à Bachy", mais il n' en a pas été de même partout dans les environs; ainsi à Nomain une dizaine d'habitants ont été tués par une arrière garde allemande, croyant obtenir sa reddition alors qu'elle bivouaquait dans une ferme. A Pont-à-Marcq, un sérieux accrochage entre allemands et F.F.I. a fait une dizaine de morts chez ces derniers (dont un douanier de Mouchin, originaire d'Aix, Gaston Vérité).

 

 

Deux des résistants de chez nous ont continué la lutte dans les armées alliées au titre des F.F.I., Henri Lubrez, qui a été tué dans les combats de la "poche de Dunkerque", et Arthur Tarmoul, qui a notamment participé à la bataille des Ardennes~ à Bastogne, en décembre 1944. Petit à petit, la vie a repris son cours normal, mais il a fallu encore plusieurs mois pour que s'atténuent puis cessent définitivement les restrictions et que nous retrouvions facilement ce dont nous avions besoin (nous avons encore eu du pain gris durant plusieurs mois).

Par un bel après-midi de septembre 1944" alors que nous étions libérés depuis plusieurs semaines" nous avons vu passer dans notre ciel, en vagues successives, une quantité impressionnante de bombardiers - cette fois à altitude moyenne - la plupart remorquant de gros planeurs, et se dirigeant vers le Nord. Il s'agissait des troupes aéroportées engagées dans la bataille d'Arnhem, en Hollande, qui visait à créer une tête de pont au delà du Rhin encore tenu par les allemands. A la Noël de 1944, s'est déroulée la bataille des Ardennes, derniers soubresauts de l'armée allemande. Son avance vers la Meuse a duré je crois une dizaine de jours et nous nous demandions avec anxiété comment et quand cela s'arrêterait, instruits de l'avance fulgurante des divisions de "panzers" en Mai 40, et cela d'autant plus que, comme en mai 40, le long de notre pignon orienté vers l'est, nous percevions le soir le bruit de la cannonade.Il a encore fallu tous les mois d'hiver 1945 pour que les troupes alliées viennent à bout de la résistance allemande et du régime nazi, jusqu'à la victoire signée à Berlin le 8 mai 1945.

C'est à partir de cette date que nos prisonniers ont commencé à rentrer, en mai et même en juin, chaque retour faisant l'effet d'une nouvelle sensationnelle. Il faut dire qu'ils étaient éparpillés en Allemagne, en Pologne ou ailleurs, et qu'à l'époque les transports étaient encore complètement désorganisés. Un d'entre eux hélas n'est pas rentré: il s'agissait d'Henri Pottier, le fils du maire d'alors, Louis Pottier-Vauban. Il était décédé le 2 février 1942, à l'hôpital de Lorquin en Moselle des suites de maladie. Sa dépouille mortelle a été ramenée à Bachy par la suite, et il est inhumé en notre cimetière auprès de ses parents. Par déférence envers sa mémoire, la rue où il habitait porte son nom. Ici au village, il n'y a pas eu de manifestation particulière pour ce 8 mai 1945, mais je me souviens simplement que, toute une équipe de jeunes gens, nous avons dansé au Café de l'Accordéoniste (actuellement "Les Trois Lions") pratiquement jusqu'à l'aube et naturellement au son de l'accordéon. Cette date a marqué La fin de la guerre et de la sombre période de L'occupation.

 

Henri Werbrouck

 

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* créé en 1930 par un ingénieur américain, M.Taylor, le Cub (ourson) sortit des chaines de production Piper en 1939. A l'origine avion de tourisme léger, il fut transformé en avion militaire sous le nom de L4. Il servit dans l'armée américaine comme avion de liaison, d'observation, d'évacuation sanitaire, de perfectionnement au pilotage, il participa également au débarquement en 1944.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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