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article publié en 1932

 

A nous qui nous déplaçons si facilement, cela semble bien extraordinaire de penser que le voyage d’agrément fut longtemps inconnu, même à une époque relativement rapprochée de la nôtre ; nos aïeux ne bougeaient guère de chez eux et seuls les coureurs d’aventures et les bateleurs de foires se rencontraient sur les grands chemins. Il est certain que l’état des routes n’encourageait guère à s'y aventurer ; ce n'était que des ornières et des fondrières où les véhicules s’embourbaient, et point de secours à attendre des auberges qui, de loin en loin, formaient des repaires suspects, sinon de véritables coupe-gorges.

Pendant le moyen âge, les seigneurs et les artisans restent bien tranquillement à l’abri de leurs tourelles et à l’ombre de leurs clochers, où ils mènent une existence sédentaire. C'est à peine si le grand mouvement des Croisades et la découverte de Christophe Colomb incitent et éveillent la curiosité des esprits et font luire aux imaginations paresseuses le mirage des contrées lointaines.

Ce n’est qu’à partir de la Renaissance, alors qu’à la Cour de France arrivent de nombreux artistes italiens appelés par la reine Catherine de Médicis, que s’établissent, sur les routes, desallées et venues plus fréquentes, entre les deux nations, mais les véritables progrès pour la commodité des voyages et la sécurité des voyageurs datent du règne de Louis XIV et de Louis XV.

 

 

UN OMNIBUS GIGANTESQUE - LA MALLE A SOIXANTE PLACES DE 1830

 

 

Jusque là, les hommes voyageaient à cheval et les dames en litières. Inutile d’ajouter que cela n’allait pas très vite. Les reines et les princesses déployaient un grand luxe pour l’ornement de leurs litières, et celles-ci furent remplacées ensuite par des carrosses dont la décoration, d’abord rudimentaire, finit par atteindre un luxe inouï de dorures et de broderies. Mais ceci n'a trait qu’aux carrosses des dames de la cour, ceux qui servirent à la circulation dans Paris n’avaient rien de très élégant, ils pouvaient contenir huit personnes et ressemblaient assez à nos corbillards d’enterrement. Il est à remarquer que l’usage de plus en plus développé des carrosses eut une grande influence, non seulement sur l’aspect des rues de Paris, dont il fallut modifier la largeur, mais aussi sur l’hygiène, car il fut, à dater de cette époque, défendu de jeter les ordures ménagères par les fenêtres.

A côté du pesant carrosse naquirent des voitures légères pour la promenade et aussi la malle-poste, qui fut pour nos aïeux, ce que l’autocar est pour nous à l’heure actuelle... à la différence de vitesse et aussi de confort ; car les voyageurs s’empilaient dans la malle-poste pêle-mêle avec leurs bagages.

Sous la Restauration, le véhicule le plus caractéristique des grands parcours est la diligence, qui avait pris des mesures assez amples en longueur, eu largeur et en hauteur. A la même époque apparaissent les omnibus (1828), voitures publiques à itinéraires fixes, qui circulent avec fracas par les boulevards, entre la Madeleine et la Bastille. Ce n’était pas là tout à fait une innovation, car déjà, en 1662, des lettres patentes avaient accordé au duc de Roannez l'autorisation d’établir des carrosses publics, avec départs à heures fixes et itinéraires déterminés. Evénement notoire, qui fut signalé par le poète Loret, dans les quatrains que voici :

 

L’établissement des carrosses

Tirés par des chevaux non rosses,

Mais qui pourront à l’avenir

Par le travail le devenir,

A commencé d’aujourd’hui même.

Commodité sans doute extrême

Et que les bourgeois de Paris,

Considérant le peu de prix

Ou'on donne pour chaque voyage,

Prétendent bien mettre en usage.

Ceux qui voudront plus amplement

Du susdit établissement

Sçavoir au vrai les ordonnances

Circonstances et dépendances.

Les peuvent lire tous les jours,

Dans les placards des carrefours,

Le dix-huit de mars nostre veine

D'écrire ceci prit la peine.

 

Cet événement eut, paraît-il, un éclat et une pompe magnifiques, les carrosses étaient conduits par des cochers dont les casaques étaient bleues aux couleurs du Roi et de la Ville, avec les armes du Roi et de la Ville en broderies sur l’estomac et la marche était accompagnée des archers du Grand Prévost et de nombreux hommes à cheval.

 

 

L'OMNIBUS DE l’ODÉON

 

 

En 1828, les carrosses furent remplacés par les omnibus qui ne tardèrent pas à prendre une grande extension, se. multipliant à travers la capitale pendant toute la fin du XIXe siècle.

Le 11 janvier 1913, Paris enterrait son dernier omnibus, celui qui assurait le trajet de la Villette à Saint-Sulpice. Les Parisiens avaient tenu à faire un cortège triomphant à la vieille guimbarde que les rapides autobus allaient remplacer. Les étudiants avaient paré de fleurs et de couronnes la plate-forme du véhicule hippomobile et glissé dans les rênes des chevaux des œillets et des violettes. Arrivé au dépôt, les deux percherons furent dételés et le cocher descendit de son siège. C’était un vétéran du fouet qui faisait ce métier depuis 1876. Il regarda mélancoliquement la file des autos qui avaient accompagné le dernier omnibus, et comme on lui remettait le produit d’une petite collecte, que l’on avait faite pour lui, il remercia, avec les yeux humides, et s’en alla, lentement, un peu courbé, les mains enfoncées dans sa veste de peau de mouton, après avoir donné une dernière caresse à ses vieux amis, les deux percherons qui, eux aussi, avaient fini leur service.

 

En somme, de 1828 à 1913, les omnibus avaient rendu de grands services aux Parisiens qui ne s’étonnaient point de leur lenteur et marquaient d’une faveur spéciale, surtout l’été, les impériales, d’où l’on pouvait embrasser le coup d’œil amusant des rues et des boulevards. Maintenant, cela nous paraît bien désuet et les vertigineux virages de nos autobus actuels nous feraient courir, s’ils étaient à impériales, de bien dangereuses culbutes.

Quant aux voyages que le progrès a mis à notre disposition, ils dépassent, certes, tout ce que l’imagination de nos ancêtres a pu entrevoir, car malgré tout son esprit et sa fertile invention, on aurait bien surpris la bonne marquise de Sévigné si on lui avait dit que grâce, à l’automobile, qu’elle aurait certes conduite elle-même avec beaucoup d’adresse, elle aurait pu aller embrasser sa chère fille à Grignan et revenir terminer ses comptes au château des Rochers dans l'espace de quelques heures !

 

 

 

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LA MORT DES DILIGENCES

 

Une surprise m'attendait l'autre dimanche. A Saint-Michel-sur-Orge, à la place de la vieille diligence qui, jadis, m'emportait vers Montlhéry, je trouvai un autobus flambant neuf.

Compatissant à mon étonnement, un homme âgé qui s'apprêtait à grimper dans l'auto commune, voulut bien me renseigner.

- Eh! oui, l'antique et pittoresque patache est morte. On l'a conduite l'autre dimanche au cimetière, c'est-à-dire sous un hangar où la rouille peu à peu l'emportera. J'étais du convoi. Je vous assure que c'était bien triste. Je l'aimais tant ce coche avec son impériale où à la belle saison on prenait le bon air, où l'on blaguait entre voyageurs, où la jeunesse chantait à tue-tête en attrapant au passage les branches des arbres. On mettait bien vingt minutes pour aller de Montlhéry à là gare de Saint-Michel-sur-Orge, mais ces vingt minutes filaient vite. Elles constituaient une agréable promenade, une récréation reposante. La preuve en est, monsieur, que tous les touristes, le dimanche, pour la tour de Montlhéry, ne manquaient jamais de prendre la patache. Celui qui la conduisait était un bien brave homme. Il adorait ses chevaux et sa vieille guimbarde. Il avait beaucoup de civilités pour ses voyageurs. Et puis, la diligence ne coûtait que o fr. 75 en semaine et 1 franc le dimanche, au lieu de 1 franc et 1 fr. 25. Or, par les temps qui courent...

Mais le monsieur âgé et moi, nous nous étions installés sur la banquette de l'autobus qui démarra d'un coup sec. Et un homme qui dardait sur mon interlocuteur des prunelles courroucées, s'interposa dans notre conversation.

- Vous êtes bien bon, dit-il, avec votre patache. Ah! ce n'est pas moi qui la regretterais. A cause d'elle je ratais mon train une fois par jour. Dans ses flancs étiques, sur ses coussins moisis qui exhalaient une abominable odeur, les voyageurs étaient écrasés les uns contre les autres. J'ai attrapé trois grippes sur l'impériale. Le soir, on ne voyait goutte dans sa caisse brinqueballante. Les gens prenaient des formes fantomatiques et je ne pouvais lire le compte rendu des courses. Quant au prix, j'estime que l'augmentation est justifiée par les quinze minutes que nous gagnons sur le temps du parcours.

Déjà l'autobus stoppait. Je m'empressai de m'éloigner sous l'œil dur de l'ennemi des vieilles pataches.

 

article de Marcel Petit publié en 1930

 

 

une patache

 

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