Texte et dessins de Suzanne André – 1952

1790 – C’est l’époque où les hommes ne rêvent que de mécanique. Les uns emploient leur génie inventif dans les constructions qui n’ont d’autre but que d’étonner les foules, tels les fameux automates de Vaucanson, ceux de Jacquet-Droz. D’autres, au contraire, appliquent leurs talents à des réalisations plus pratiques. Parmi ces derniers, un certain M. de Sivrac se consacra au problème de la locomotion individuelle et créa la célérette, une sorte de cheval de bois (à tête de lion) que l’on actionnait par des poussées alternatives des pieds sur le sol.

Comme ce fougueux coursier n’avait pas de direction, il fallait lui imprimer une petite secousse pour le faire virer à droite ou à gauche, manœuvre à laquelle les élégants appliquaient toute leur adresse. La célérette fit pendant quelques temps les délices des incroyables.

1818 - Le baron  badois Drais de Saueurbronn apporta un premier perfectionnement à cet élémentaire véhicule en montant la roue antérieure sur pivot. Ainsi naquit la draisienne, mais le mode de propulsion du vélocifère, comme on l’appelait aussi, n’avait pas changé, et, comme le remarquait judicieusement un commentateur de l’époque, restait deffectueux.

1865 - Les grands événements naissent parfois de petits incidents. L’honorable M. Brunel, alors qu’il évoluait avec grâce sur son vélocifère dans les jardins du Jockey-Club, heurta un arceau de la bordure et s’effondra dans un affreux bruit de ferraille. Lui-même s’en tira sans mal, mais hélas, le véhicule était en miettes ! Il en ramassa les débris et les porta à un certain Pierre Michaux, carrossier de son état. Il ne pouvait mieux tomber car Pierre Michaux avait l’esprit très ouvert à tout ce qui est mécanique. Non seulement il répara fort bien le vélocifère de son client, mais il eut l’idée de rajouter une paire de manivelles solidaires de la roue avant. Se doutait-il que son invention marquait une date dans l’histoire de la locomotion terrestre ? Toujours est-il qu’il s’appliqua fiévreusement à la perfectionner, créant le"vélocipède Michaux" avec cadre en fer forgé, roues en bois cerclées de métal, le tout fort solide et pesant une bonne quarantaine de kilos.  L’emploi de cet engin nécessitait une bonne constitution. Les Anglais, qui ont le génie des définitions lapidaires, affublèrent la nouvelle machine du sobriquet de "Bone shaker" (secoueur d’os) !

1867 – 1869 - Excités par ce succès, de nombreux techniciens de tous les pays apportèrent leur concours au perfectionnement du merveilleux véhicule. Successivement, Ader inaugura le cadre tubulaire en métal, Gonel attacha son nom à la roue métallique montée en tension et Suriray aux coussinets à billes. Un certain Meyer  fabriqua le premier bandage en caoutchouc plein.
On évoluait doucement vers la bicyclette moderne.

1885 - Naturellement, ce qui fascinait les fervents du vélocipède c’est la vitesse qu’on pouvait atteindre une fois grimpé sur ces fougueux coursiers. On ne tarda pas à s’apercevoir qu’on irait d’autant plus vite que la roue motrice serait plus grande, puisque les pédales l’attaquaient directement. La roue avant, sous l’impulsion audacieuse des ingénieurs, se mit à grandir jusqu’à atteindre le diamètre de 13 35. Monter ces grands bicycles ou "grands bi" constituait presque un numéro de cirque, mais les vitesses qu’ils permettaient étaient quelque chose de si nouveau, de si enivrant qu’il ne manqua pas d’intrépides pour les enfourcher, et même pour se défier à la course. Les chutes en panache avec contusions et fractures n’étaient pas rares. Le "grand bi" était un danger public, mais il n’en jouit pas moins d’une vogue étonnante pendant de nombreuses années.

1893 - Malheureusement, tout le monde n’est pas acrobate et le grand public réclamait un vélocipède plus en harmonie avec son tempérament paisible. C’est alors qu’on se souvint que le pignon denté et la chaine étaient inventés depuis longtemps : on mit la roue motrice à l’arrière et on l’entraîna au moyen d’une transmission multiplicatrice qui permit d’en réduire le diamètre. Le pioneer, le premier vélo paru sur le marché, remonte à l’année 1885.  Lorsque l’Irlandais Dunlop, en 1893, inventa le pneumatique, la bicyclette était née.

C'est au vélodrome de Herne Hill, en Angleterre, que s'est déroulée cette course curieuse. Elle fut disputée uniquement par de très anciens champions cyclistes, depuis longtemps retirés de la piste, et, pour la circonstance, ils se servirent des vieux bicycles qu'ils avaient utilisés dans leur jeunesse.

Assurément, ces bicycles ne sont pas les plus lointains ancêtres de notre moderne bicyclette. Avant eux,il y eut la draisienne, qui était constituée de deux roues en bois d'égale hauteur et qu'on actionnait en frappant le sol tantôt d'un pied, tantôt de l'autre, comme font à peu près les enfants d'aujourd'hui avec leurs patinettes. Plus ou moins perfectionnée, la draisienne s'appela par la suite le célérifère et le vélocifère.

Puis en 1861, un serrurier parisien, Pierre michaux, eut l'idée d'ajouter, sur le moyeu de la roue, un axe coudé muni de deux pédales. Malheureusement, cet appareil, qui pesait 35 à 40 kilos, était très fatiguant à mettre en mouvement. C'est alors que pour augmenter la pesanteur, on imagina le Grand Bi, le bicycle à roue de devant immense et à roue arrière minuscule, tel que viennent de l'utiliser encore les vieux champions d'Angleterre. En même temps, on le fit profiter d'un progrès qui devait se développer par la suite en adaptant, autour de roues, un tube de caoutchouc plein.

Le Grand Bi eut son heure de gloire aux environs de l'année 1890. Il restait encore bien des progès à faire avant d'obtenir le vélo d'aujourd'hui.

article publié en 1930